C’est la question qui semblait tarauder son administrateur général Jean-Paul Philippot, dans un article paru le 7 novembre dernier dans Le Soir, annonçant dans la foulée que la vente des bâtiments Reyers était envisagée comme piste de financement alternatif:
« Les responsables de la RTBF et de la Fédération Wallonie-Bruxelles
examinent la piste du « sale and leaseback », cette technique financière
qui consiste pour une société à vendre ses actifs à une entreprise
spécialisée qui va ensuite lui louer ceux-ci pour une durée déterminée.
L’avantage? Un gain en capital immédiat.»
« Ce que je ne veux pas pour la RTBF, c’est un plan social », insistait à son tour la ministre de tutelle, Fadila Laanan, vendredi soir, après l'adoption par le conseil d'administration du nouveau contrat de gestion 2013-2017. Et d'ajouter que la vente du patrimoine devrait, par ailleurs, amener "
un peu de souffle" à l'entreprise...
Admirable convergence des points de vue !
Dans une interview
devant le sapin de Noël , la Ministre le rappelait : « Nous sommes dans une situation sociale qui est difficile, mais les solutions envisagées permettront
à la RTBF d’être dans un contrat de gestion ambitieux mais réaliste ...
et qui permettra même de rêver à des projets nouveaux » (si si).
Pas de licenciements secs...
On ne licencie pas, on se contente "juste" de ne pas remplacer le départ à la retraite d'un sexagénaire sur trois, soit une cinquantaine de personnes. Certes, mais on peut tourner la chose comme on veut, diminuer sans remplacer revient, au bout du compte, à augmenter la charge de travail de ceux qui restent...
Est-ce cela, « éviter un plan social » ?
Et qu'en est-il des pigistes, dont rien, absolument rien ne garantit l'avenir au sein de l'entreprise ? A quelle sauce seront-ils mangés ?
Ce lundi 17 décembre, nous avons publié ici même,
une lettre anonyme de l'un d'entre eux. En quelques jours, cette lettre a été lue par plus de cinq mille internautes et a suscité de nombreux commentaires. Bien sûr, on pourra toujours arguer du fait que ces témoignages, puisqu'ils sont anonymes, ne prouvent pas grand chose, pour ne pas dire rien, et qu'ils émanent sans doute de gens mal dans leur peau, de passéistes ou de revanchards qui ont de vieux comptes à régler avec la Grande Maison où ils n'ont pas su trouver leur place... Argumentation classique pour balayer d'un revers de la main toutes les critiques, d'évacuer tous les sujets qui fâchent.
En tant qu'auditeurs et téléspectateurs attentifs et attachés à la notion de service public et donc, amenés à faire part de nos critiques, nous avons pu "apprécier" par nous-mêmes ces visions caricaturales et réductrices qui faisaient de nous des "cybernostalgiques" aigris, des éternels râleurs incapables de vivre avec notre temps. On s'y fait, à ces sobriquets et à cette morgue qui coupe court à tout dialogue, ou bien on passe à autre chose, de guerre lasse... Mais de l'intérieur, comment vit-on cela ?
Anonyme, critiquable, subjective... Peut-être, mais cette "bouteille à la mer" et les commentaires qu'elle a suscités, renforcent le sentiment que l'on a, de l'extérieur, sur les choix de programmation et sur cette lente descente vers le formatage des émissions, entamée depuis longtemps déjà mais qui est, depuis quelques années, passée dans une phase d'accélération spectaculaire autant qu'inquiétante !
Aux constats affligeants et affligés sur les préférences, tantôt farouchement niées, tantôt décomplexées, pour « l'infotainment » et la télévision (surtout la télévision) « de divertissement passif », s'ajoutent bien des questions sur la gestion même de
l'entreprise publique autonome à caractère culturel qu'est la RTBF (sans oublier ses filiales : RMB, Casa Kafka, DreamWall, Keywall, Sonuma, Feri et Frey).
La gestion des ressources humaines, notamment, a de quoi laisser pantois... La souffrance est palpable, entre besoin de parler et peur de le faire autrement que sous couvert de l'anonymat. Peu crédible ? La vitesse à laquelle l'article s'est propagé, via les réseaux sociaux, tendrait à prouver plutôt que cette lettre "parle vrai" et que ce qu'on y décrit ne peut plus être tu. Les statuts de pigistes se multiplient, deviennent la règle, permettent de pouvoir compter sur un personnel docile qui jamais ne cherchera à sortir du cadre qu'on lui a déterminé. D'autres sont ballotés d'un rôle à un autre, d'un tiroir à un autre tiroir, placardisés, réduits à exécuter des programmes clé sur porte conçus par des sociétés privées...
Dans le même temps, nous dit un autre de ces anonymes, « vous subissez
les effets de la gestion de l'armée pléthorique des dirigeants mise en
place par Jean-Paul Philippot. Ils donnent l'impression de fonctionner
comme s'ils étaient chez Belgacom, Axa ou Procter & Gamble, au point
que de nouvelles dispositions vous semblent complètement déconnectées
du quotidien de la petite minorité de personnes qui produisent toujours
des programmes. Beaucoup de ces directeurs qui vivent en vase clos
pratiquent le mépris, qu'on doit sans doute enseigner dans les hautes
écoles de gestion. On dirait qu'ils gèrent plus leur prochain
rebondissement vers une autre société que leur domaine actuel. »
A la lueur de ce qui se profile à l'horizon, tout cela fait sens, bien évidemment ! Et il y a de quoi s'inquiéter grandement de l'avenir de la RTBF, lorsqu'on entend parler de « trouver de l'argent frais » ou de « réaliser des actifs » ... En y allant de la vente de ses bâtiments en « sale and leaseback », le risque est grand que la RTBF n'ouvre la voie à un démantèlement programmé, comme ceux qu'on a déjà connus par le passé pour des entreprises publiques devenues, méthodiquement et par étapes successives, des sociétés privées.
«La vente du patrimoine, par ailleurs, devra amener un peu de souffle à l'entreprise », nous dit Fadila Laanan. C'est un
oxymore ?
Quand bien même cela apporterait un peu de souffle (= liquidités), c'est évidemment la façon dont ce "capital" sera utilisé qui importe, dans quoi il sera investi...Si c'est pour améliorer le sort des travailleurs, auquel semblent tellement tenir Jean-Paul Philippot et Fadila Laanan, très bien... Mais compte tenu des témoignages qui continuent de nous arriver, cette perspective paraît peu probable.
« Le groupe audiovisuel public va recevoir 1,5 million d’euros » nous dit-on
ici. Le « groupe », c'est très différent de « la RTBF »... et il y a, dès lors, toutes les chances pour que ce million et demi d'euros échoue dans la poche de cadres de
la RTBF... sinon de l'une de ses filiales.
Mais on les entend hurler d'ici au procès d'intention ! Ah, les choses seraient tellement plus simples (saines) si les citoyens, parce qu'ils contribuent au financement de la RTBF à hauteur de 70%, avaient un droit de regard sur les comptes de l'entreprise... Des comptes détaillés, car des bilans, ça ne signifie pas grand chose. Que coûtent les heures d'antenne consacrées au Football ou à la Formule 1 et à leurs envoyés spéciaux ? Combien coûte l'émission The Voice et combien rapporte-t-elle ? Combien a coûté la construction des studios Media Rives ? Que représente la masse salariale des travailleurs et combien représente celle des directeurs ? Y a-t-il des primes à l'audimat ?
Histoire, le cas échant, de faire taire les mauvaises langues, et d'être en mesure d'apprécier si, oui ou non, les choix des ingénieurs commerciaux aux commandes de la RTBF sont compatibles avec le statut d'entreprise publique autonome à caractère culturel qui lui correspond... ou s'il ne s'agit pas plutôt d'invoquer, la main sur le coeur, le sort des travailleurs, tout en lorgnant cyniquement sur le « retour sur investissements » dont les mêmes, toujours les mêmes, bénéficient au bout du compte. Jusqu'au jour où, à tant tirer sur la corde...
Mais n'anticipons pas, car voilà qu'entretemps, le contrat de gestion a été signé vendredi soir, et des échos qui nous reviennent, globalement positifs... Un certain nombre de suggestions auraient été entendus (suppression des coupures publicitaires et du placement de produits, médiation,...).
Tout en nous réjouissant, si tel est le cas, il nous est difficile à ce stade, et tant que nous n'aurons pas vu la couleur de ce contrat, de chanter victoire uniquement sur la base d'articles, d'interviews ou de déclarations qui ne sont jamais, après tout, que des exercices pratiques de communication bien rôdés.
Et quand bien même il y aurait vraiment de quoi se réjouir, il serait illusoire de penser que par la magie d'un contrat de gestion, les professionnels de la RTBF, journalistes, réalisateurs, producteurs, cadreurs,
techniciens du son, scriptes, statutaires ou pigistes... puissent concrétiser valablement les missions du service
public sans une profonde remise en question de la part de la direction sur ses méthodes de management à coup de « La situation est difficile, accrochez-vous, car seuls les plus forts
résisteront aux changements. Ceux qui sont trop faibles tomberont en
chemin. »
Trouver de l'argent pour combler les mauvais choix - peut-être même la gabegie - de ceux d'en haut, tout en faisant croire que c'est
pour soulager ceux d'en bas et en les dressant les uns contre les autres au quotidien...
Combat de riches !
Nous n'y souscrivons pas.
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